Christine Laliberté, infirmière, M. Sc., D.E.S.S., infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne (IPSPL), cumule plus de 25 ans d’expérience en centres hospitaliers et en soins de première ligne. Chargée de cours à l’Université Laval (Québec, Canada), Christine Laliberté est également chargée de projet pour Archimède, une initiative lauréate régionale du Prix Innovation infirmière 2020 de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ).
Présidente de l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec (AIPSQ), elle a pour mandat de représenter les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) du Québec, tant au niveau politique, que stratégique et médiatique. Lauréate du Prix Florence “engagement professionnel” en 2018, elle a également été chroniqueuse santé pour l’émission Entrée principale de Radio-Canada.
Au Québec, une infirmière praticienne spécialisée (IPS) est une infirmière qui a acquis une expérience clinique d’au moins deux ans et qui, par la suite, a complété avec succès une formation aux cycles supérieurs en pratique avancée.
Au cours de sa formation, l’IPS a développé ses compétences cliniques, en approfondissant et en élargissant ses connaissances en sciences infirmières et biomédicales, lesquelles lui permettent d’évaluer, plus précisément, les conditions de santé physique et mentale des clientèles qu’elle dessert. En plus du champ d’exercice des infirmières, l’IPS est habilitée à exercer des activités médicales autorisées, à proposer des plans d’investigation, de traitements, de soins et de suivi, qui répondent aux besoins des patients (Loi sur les infirmières et les infirmiers-LII). Sa formation spécifique lui a permis d’aiguiser ses compétences analytiques et son jugement clinique pour la prise de décisions, et ce, dans l’intérêt supérieur des personnes qu’elle est appelée à soigner.
La majeure partie de sa pratique est consacrée aux soins directs à la population (70 - 80% du temps). Dans une approche globale et en partenariat avec le patient, l’IPS accompagne la personne (et ses proches) dans son expérience de santé. L’IPS applique une démarche de raisonnement clinique, procède à une collecte de données ciblées, génère des hypothèses diagnostiques, analyse les données et affine ses diagnostics différentiels pour arriver à un diagnostic final, de façon à planifier des interventions appropriées. Sa perspective infirmière l’amène à tenir compte des dimensions biopsychosociales, ainsi que du développement et des déterminants de santé propres à la personne (OIIQ, 2018). En somme, l’IPS offre ainsi des soins infirmiers (article 36 de la LII) et médicaux (article 36.1 de la LII) intégrés.
En collaboration avec des médecins et d’autres ressources professionnelles, l’IPS contribue à l’accessibilité à des soins et des services de santé de qualité, en prenant en charge des patients présentant des situations de soins, dont le niveau de complexité est variable.
L’IPS contribue également à l’amélioration de la qualité des soins et de la sécurité des patients, en soutenant la pratique infirmière et en s’impliquant auprès de ses collègues infirmières. En s’appuyant sur les données probantes, en mobilisant et combinant ses connaissances dans une démarche de raisonnement clinique rigoureuse, l’IPS présente un modèle de rôle favorable au développement de la profession. Elle fait preuve d’un leadership clinique qui facilite la collaboration intraprofessionnelle.
L’IPS préconise une approche globale, prenant en charge le patient dans toutes les sphères de sa vie. Cette approche permet la prévention et le dépistage précoce de la maladie, en faisant de la promotion de la santé, ce qui peut diminuer la fréquence et la durée des hospitalisations. La combinaison de compétences en pratique infirmière avancée, incluant ses compétences médicales, lui permet également de compléter l’ensemble des interventions de manière autonome, au bénéfice du patient, augmentant sa capacité de prise en charge, ainsi que l’accessibilité et la qualité des soins.
En tant que membre d’une équipe interprofessionnelle (médecins/IPS/professionnels de la santé), les IPS contribuent à augmenter la capacité de prise en charge globale d’un plus grand nombre de patients. De plus, elles collaborent à la formation continue et à l’enseignement auprès des nouvelles IPS. Elles contribuent aussi à la recherche et à l’amélioration des pratiques cliniques.
Pour le réseau de la santé, le déploiement du rôle des IPS contribue à l’amélioration de la fluidité des services, en assurant une meilleure coordination des soins et en permettant des économies par une utilisation plus efficiente et optimale des professionnels de la santé. De plus, les IPS sont au cœur de projets novateurs qui permettent d’aborder la prestation de soins autrement (p. e. SABSA, Archimède, etc.).
La qualité de la collaboration passe par la connaissance et la reconnaissance du rôle de chacun(e). L’ensemble des infirmières, incluant les IPS, agissent en complémentarité en fonction de leurs compétences, de leurs niveaux de formation et de la règlementation qui régit leurs champs d’exercice respectifs. Chacune occupe une place complémentaire et essentielle dans le réseau de la santé. L’IPS a approfondi ses connaissances en analyse critique de la situation de soins et ses compétences médicales, notamment dans une démarche diagnostique rigoureuse lui permettant d’émettre un plan de traitement complet (incluant les traitements pharmacologiques) de manière autonome. L’IPS accompagne ses collègues infirmières lorsque celles-ci désirent avoir une opinion sur l’évaluation de santé d’une personne ou lorsque leur champ d’exercice ne permet pas de prescrire les interventions requises. Toutes deux peuvent assurer conjointement des suivis, en mettant à profit leur expertise propre pour le bien-être du patient et de ses proches. La collaboration peut varier de la rencontre individuelle à la rencontre interdisciplinaire, selon la complexité de la situation. Enfin, les IPS agissent souvent à titre de coach, d’enseignante ou de superviseure selon la nature des besoins.
Les infirmières partagent le même objectif d’offrir des soins de qualité, axés sur la prévention et la promotion de la santé, et d’établir un partenariat de soins avec le patient et sa famille, en respectant son histoire de santé et en misant sur les autosoins. Les IPS assurent un soutien clinique à leurs collègues afin de leur permettre d’occuper pleinement leur champ d’exercice et de potentialiser leur rôle.
La contribution des IPS a été variable en contexte de pandémie. Certaines ont vu la portée de leur rôle limitée, alors que d’autres ont pleinement occupé leur champ d’exercice. Ainsi, faute de ressources professionnelles, plusieurs IPS ont quitté leurs fonctions et ont œuvré comme infirmière-clinicienne ou auxilliaire selon les besoins. Après consultation auprès de ses membres, l’AIPSQ a émis des recommandations au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) du Québec (Canada) qui permet de mobiliser les compétences des IPS des cinq classes de spécialité afin de désengorger les urgences en potentialisant leur rôle dans les soins de proximité, les cliniques externes, les unités spécialisées et les urgences psychiatriques, entre autres.
Plusieurs milieux ont toutefois mobilisé l’expertise infirmière à son maximum et des équipes de soins se sont réorganisées pour maintenir l’offre de services en tenant compte des recommandations sanitaires. Ainsi, des IPS ont été mises à profit pour éviter l’engorgement des urgences en assurant des gardes ambulancières (permettant, lorsque possible, d’éviter aux ambulanciers de diriger certains patients aux urgences). Elles ont augmenté leur présence dans les cliniques sans rendez-vous, certaines cliniques désignées d’évaluation (CDÉ), des résidences pour personnes âgées, des sites non traditionnels de soins (SNT), des centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), des services de soins à domicile, etc.
Certains milieux ont permis aux IPS d’assurer quasi complètement la réorganisation de l’offre de service en matière d’accessibilité. Par exemple, dans certains CHSLD, les infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne (IPSPL) ont collaboré aux démarches de contrôle des infections et soutenu le rôle des infirmières en prévention et contrôle des infections (PCI). Les IPS, ayant développé leurs compétences d’analyse organisationnelle, sont en mesure de proposer des solutions visant l’optimisation de l’offre de services.
L’expertise des IPS dans la réorganisation potentielle des soins demeure généralement sous-utilisée. Elles ont développé des compétences cliniques et organisationnelles qui leur permettent d’avoir un œil critique sur l’accès aux soins et le fonctionnement des équipes. L’intégration d’une IPS au sein des équipes entraine des changements qui permettent parfois d’identifier des problématiques nécessitant des modifications de la pratique actuelle. Les IPS peuvent suggérer ou proposer des aménagements qui favorisent l’accès aux soins en mettant leurs compétences au service des patients et des organisations. Malgré ces compétences, les IPS n’ont pas pu participer pleinement à la réorganisation des soins durant la première vague de la pandémie. Certains milieux les ont très peu consultées, ce qui a engendré un impact sur leurs responsabilités professionnelles à l’égard de leur clientèle. Après plus de 15 ans de déploiement et d’intégration des IPS dans le système de santé du Québec, le réseau de la santé demeure très médico-centriste : ce qui empêche une réorganisation pleinement efficiente de l’offre de service.
Le rôle des IPS en CHSLD est encore méconnu et sous-estimé. Il a été implanté en 2015 et formalisé officiellement en 2018. Il n’est donc toujours pas implanté dans l’offre de service à l’échelle du Québec. Ainsi, le nombre d’IPS qui y travaillent n’atteint pas encore une masse critique. Les IPS déjà en poste ont poursuivi leurs activités et contribué aux soins dispensés. En plus des activités habituelles de l’IPS, elles peuvent procéder à l’admission d’un usager, l’évaluer, mettre à jour son profil pharmacologique (prescrire ou « déprescrire » certains médicaments) et demander la contribution complémentaire de divers professionnels de la santé. Compte tenu de la pénurie de personnel soignant, eux aussi ayant été atteints par la pandémie, plusieurs IPS ont soutenu leurs collègues en CHSLD en tenant le rôle infirmier et parfois même, celui de préposé aux bénéficiaires (aide-soignante).
Toutefois, en contexte de pandémie, le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec a autorisé les IPS à rédiger un constat de décès dans le cas où ce dernier était attendu. Certains établissements ont également permis aux IPS d’accéder à une formation spécialisée de 35 heures, permettant à plus de 100 IPS en soins de première ligne (IPSPL) de contribuer au travail en CHSLD au début de la pandémie.
L’augmentation du nombre d’IPS certifiées au Québec pourrait permettre d’assurer leur présence en CHSLD. De plus, l’implication d’un plus grand nombre d’équipes composées entre autres d’infirmières, d’IPS et de médecins en CHSLD permettrait une expertise soutenue dans ces milieux.
L’élément le plus important est la reconnaissance de son rôle et de sa contribution à l’accessibilité de soins de santé sécuritaires et financièrement viables. Plusieurs intervenants décisionnels du réseau de la santé ne consultent pas et collaborent peu avec les IPS. On voit une lente progression quant à l’intégration des IPS dans les discussions relatives à l’organisation des services et à l’identification des lieux possibles de collaboration qui soient favorables à un déploiement efficace de leur rôle. Un effort tangible et progressif est toutefois perceptible et très encourageant grâce à certaines visionnaires du domaine infirmier.
Le niveau élevé de formation des IPS reste sous-estimé par différents acteurs clés du système de santé. La portée de leurs interventions demeure limitée : ce qui nuit à une transformation véritable de l’accessibilité aux soins.
En fin de compte, ce sont les patients qui sont, en premier lieu, lésés. Malgré des appuis significatifs et des résultats probants à l’appui, l’IPS doit constamment se surpasser pour démontrer son apport dans l’offre de soins de qualité à la population. L’importance d’une règlementation en adéquation avec ses compétences réelles et les besoins populationnels demeure la cible à atteindre.
L’IPS doit travailler dans des milieux professionnels favorables c’est-à-dire dans des milieux qui permettent et encouragent le développement professionnel, la curiosité scientifique, le partage des connaissances et l’implantation entière de leur rôle, à la mesure de leur formation et de leurs compétences. La nécessité de regrouper plusieurs IPS dans les milieux de soins est aussi essentielle au déploiement du rôle.
Concernant la reconnaissance du rôle et de la contribution des IPS par la population, un sondage mené par l’AIPSQ en août 2020 indique que 88,8% des répondants sont prêts à être diagnostiqués et traités par une IPS pour un problème de santé physique et 84,2% pour un problème de santé mentale. Ainsi, la population reconnaît le rôle des IPS. Des démarches supplémentaires de sensibilisation au rôle des IPS demeurent incontournables.
Pour ce qui est de la reconnaissance par les autres professionnels de la santé et certains décideurs, celle-ci demeure à géométrie variable et les avancées se font à petits pas. Nous devons continuer de rappeler la compétence et l’expertise des IPS, sur la base de leur formation, la plus longue et complète au Canada.
Les compétences cliniques et l’expertise des IPS les amènent à porter une vision différente et novatrice de l’approche des soins et services offerts actuellement par le réseau de la santé. Il faut laisser place aux projets novateurs issus de l’expérience des infirmières/IPS et sortir des cadres restrictifs, afin d’explorer toutes les avenues possibles à l’amélioration de l’offre de service. Ces innovations sont possibles en assumant un changement de paradigme dans les trajectoires de soins et de services.
Les IPS peuvent largement contribuer à mettre en valeur la contribution infirmière et sa reconnaissance dans les milieux de soins, en collaboration avec ses collègues. Elles ont une place à occuper en gestion clinique, près des milieux de soins. Il est impératif que les infirmières et les IPS s’investissent, tant au niveau professionnel, médiatique que politique afin de contribuer au rehaussement du développement de la profession infirmière, car elles ont une vision unique du système de santé. La population a besoin de soins infirmiers!
Espérons que, dans dix ans, non seulement les IPS auront un rôle optimal, comme pour tous les professionnels du réseau de la santé, et que la collaboration se fera en partenariat réel avec les patients. Espérons aussi que les barrières, qui consistent à vouloir conserver à tout prix des activités réservées, seront tombées pour le bien de la population, car les besoins sont énormes. Les infirmières doivent collaborer entre elles, se soutenir, s’unir et se respecter pour provoquer des gains significatifs pour la pratique et le développement de la profession.
Actuellement, des réformes législatives et règlementaires sont en cours, venant octroyer certains pouvoirs supplémentaires aux IPS en matière d’actes médicaux. L’intégration pleine et entière des IPS au réseau de la santé, à hauteur de leurs compétences, se fait graduellement. Deux ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle règlementation sur les IPS, dont la sortie est imminente, un rapport sera produit afin de déterminer s’il y a matière à modifier et bonifier la loi de façon à s’assurer que les IPS soient pleinement mises à contribution. Il est à espérer que le rôle des IPS du Québec sera pleinement reconnu et qu’il soit égal à celui de leurs consœurs canadiennes.
Tous les espoirs sont permis!
Merci à toutes les IPS qui ont contribué de près ou de loin à la réflexion sous-jacente à la rédaction de cet article.
Créée en 2005, l’AIPSQ est une association professionnelle québécoise qui représente plus de 550 infirmières praticiennes spécialisées (IPS). Elle assure le développement, la mise en valeur, la pérennité, ainsi que l’uniformité du rôle des IPS de toutes les classes de spécialités, afin de répondre aux attentes de la population québécoise et d’assurer une homogénéité de la pratique. Parmi ses mandats, l’AIPSQ représente les IPS auprès des différentes organisations ayant un rôle déterminant dans la règlementation de leur pratique. L’adhésion à l’association est volontaire.
Revue de la Pratique avancée – Vol. I – n° 1 – octobre-novembre-décembre 2020
Mémoire de l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec (AIPSQ) présenté à l’Office des professions du Québec 12 août 2020
Mémoire de l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec (AIPSQ) présenté à la Commission de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale du Québec
Collaboration du CIUSSS de la Capitale-Nationale et de l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec, 2019.
Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2016
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