SÉRIE D’ENTREVUES AVEC DES DOYENNES ET DIRECTRICES D’ÉCOLES UNIVERSITAIRES EN SCIENCES INFIRMIERES

Le savoir infirmier au service de la santé

Un projet mené par:

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En amont du 8^e Congrès mondial, le Conseil consultatif sur la formation infirmière a souhaité animer une discussion autour du thème même de l’événement: Créer de la santé: la force du savoir infirmier. Ainsi, tout au long de l’année, des personnalités phares de l’enseignement et de la recherche à travers le monde nous livrent leur vision de la contribution des savoirs infirmiers à l’amélioration de la santé des populations et au développement de politiques de santé tournées vers l’avenir. En quoi la formation universitaire est-elle indispensable au développement des compétences et à la production des savoirs scientifiques qui guident la pratique infirmière? Comment propulser la recherche et l’arrimer aux diverses sphères de pratique? Quels sont les enjeux propres à chaque pays?

Ces entrevues lancent donc les discussions à poursuivre lors du congrès mondial en octobre 2022!

Entrevue avec Professeure MANUELA EICHER

Directrice de l’Institut universitaire de formation et de recherche en soins (IUFRS) – Lausanne, SUISSE

Infirmière et docteure en sciences infirmières, Manuela Eicher a été nommée professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine au sein de l’Institut universitaire de formation et de recherche en soins (IUFRS) dès le 1^er juin 2016. Elle dirige ce dernier depuis le 1^er janvier 2021. En parallèle, elle est infirmière consultante en recherche au Département d’oncologie UNIL–CHUV.

En quoi le savoir infirmier contribue-t-il à la santé de la population?

Cette question nous invite à réfléchir à la définition du savoir infirmier. Le savoir infirmier se base certainement sur des évidences scientifiques. Mais, au-delà, il englobe différents savoirs qui peuvent être mobilisés dans la pratique. En soins infirmiers, quand nous parlons de la santé, ce n’est pas l’absence de maladie ou la survie qui est au centre de nos intérêts. Les savoirs infirmiers s’intéressent davantage aux phénomènes qui permettent à des personnes et des populations de maintenir une meilleure santé et un bien-être dans un esprit salutogénique. Concrètement, les recherches en soins infirmiers, ainsi que des recommandations de bonnes pratiques, sont fortement accentuées sur la promotion de la santé, la prévention et le soutien aux autosoins. À ce jour, ces aspects sont prioritaires pour des sociétés qui se préparent à un vieillissement de la population et une augmentation des besoins en soins des personnes touchées par des maladies chroniques. Les savoirs infirmiers contribuent ainsi à une réponse que le système de santé peut donner pour aider des personnes, des communautés ou des populations pour maintenir le meilleur état de santé et bien-être possible.

Selon votre perspective, dans votre milieu, quelles sont les thématiques prioritaires de la recherche en sciences infirmières?

En Suisse, nous avons la chance d’avoir un agenda national de recherche pour les sciences infirmières qui définit les priorités pour la recherche de 2018 à 2028. Cet agenda focalise sur les priorités suivantes : a) modèles de soins, b) environnement de travail et de soins, c) sécurité des patients, d) interventions et résultats des soins infirmiers, ainsi que des thèmes transversaux (p. ex. organisation de la recherche, méthodes de recherche et nouvelles technologies, perspectives de santé publique). L’IUFRS s’aligne avec cet agenda national en mettant la focale sur trois axes principaux : a) comprendre les besoins et préférences des personnes et les familles, b) identifier les facteurs de risque et facteurs protecteurs avec les personnes, les familles et le système de santé, et c) développer, tester et implémenter des interventions pour améliorer la qualité des soins (https://www.unil.ch/sciences-infirmieres/home/menuinst/recherche.html).

Ayant comme mission de développer des activités d’enseignement et de recherche en sciences infirmières et en sciences de la santé, l’IUFRS ne cible pas uniquement des thématiques prioritaires en recherche en sciences infirmières, mais, également, des sujets interdisciplinaires en soins.

Quelles sont vos stratégies pour l’intégration des savoirs infirmiers dans la pratique?

L’une de nos stratégies est de réunir enseignement et recherche sous un même toit; une autre stratégie prometteuse se définit par des partenariats académiques-cliniques que l’IUFRS maintient avec les lieux de pratique depuis plusieurs années. Ces partenariats entre l’université et la pratique sont des relations intentionnelles et formalisées qui se fondent sur des objectifs mutuels, le respect et le partage des connaissances.

Concrètement, cela signifie que chaque professeur-chercheur de l’IUFRS maintient un partenariat ayant comme mission de permettre l’avancement et la production des connaissances scientifiques, ainsi que l’amélioration constante des soins infirmiers, basés sur les meilleures pratiques et centrés sur les patients, leur famille, leurs proches dans un domaine spécifique. Aujourd’hui, nous maintenons des partenariats dans les domaines de la périnatalité, la pédiatrie, l’oncologie, les soins palliatifs et les personnes âgées.

Comme les projets de recherche sont réalisés conjointement avec des infirmières et des équipes d’encadrement dans des milieux pratiques, les connaissances se transfèrent directement dans le milieu. Ceci nous a permis de promouvoir la capacité de transfert de connaissances en peu de temps et nous sommes sollicités de plus en plus par des partenaires (p. ex. maintien de soins à domicile) pour établir de nouveaux partenariats.

Comment s’organise la recherche en sciences infirmières dans votre pays?

En Suisse, la recherche est organisée de façon décentralisée dans des instituts, des universités, des hautes écoles spécialisées (HES). Nous observons, avec plaisir, que des synergies s’établissent de plus en plus entre les chercheurs dans tout le pays. De plus, l’Association suisse pour les sciences infirmières (APSI) nous offre une plateforme via ses sociétés scientifiques pour établir des réseaux de recherche. De plus, comme mentionné plus haut, nous observons de plus en plus d’initiatives de recherche lancées dans des réseaux d’hôpitaux, d’établissements médico-sociaux (EMS) ou de soins à domicile. Ces études multicentriques permettent d’avoir des données représentatives, donc des résultats fiables. Nous constatons néanmoins un manque de données standardisées sensibles aux soins infirmiers au niveau cantonal ou national. Avec l’arrivée de la première infirmière cantonale dans le canton de Vaud et à la suite du soutien énorme à l’initiative sur les soins infirmiers forts, nous avons bon espoir que la situation des données sera meilleure dans les années à venir.

Un point qui reste un défi à ce jour, c’est le financement de la recherche en sciences infirmières avec peu d’opportunités de financement spécifique à ce domaine. Il nous semble également important de s’engager pour le développement des fonds spécifiques pour la relève en sciences infirmières avec des bourses pour des doctorant.e.s et post-doctorant.e.s afin de leur permettre d’avoir du temps protégé pour le développement de leur carrière académique.

Comment développer des collaborations internationales de formation universitaire et de recherche en sciences infirmières?

Les réseaux, comme le SIDIIEF, les conférences et autres moyens de communication sont indispensables pour développer des liens de confiance, et pour identifier des professeurs-chercheurs et institutions avec des intérêts partagés. L’IUFRS étant encore une jeune organisation, nous sommes très fiers d’être représentés par nos professeurs-chercheurs dans des réseaux de recherche en soins infirmiers et en soins au niveau national et international. Ceci comprend des associations et sociétés scientifiques dans nos domaines d’expertise, mais, également, des financements de réseaux de recherche (p. ex. European Cooperation in Science & Technology (COST) qui vise la coopération en science et technologie en Europe, financée par l’Union européenne). Un autre point que nous souhaitons renforcer, c’est la mobilité des étudiant.e.s et la relève académique. Nous sommes très contents d’accueillir des doctorant.e.s de provenance internationale chez nous. De plus, les partenariats que nous développons avec des instituts et facultés en sciences infirmières au plan international sont certainement un facilitateur pour intensifier cette mobilité. L’IUFRS a déjà établi des conventions avec des partenaires au Canada, aux États-Unis, au Liban et en Europe, et ce, avec une forte volonté d’élargir ces réseaux dans le futur en francophonie et ailleurs.

L’Institut universitaire de formation et de recherche en soins (IUFRS) a pour mission fondamentale la formation et la recherche dans le domaine des soins.

L’IUFRS conçoit, déploie et assure la qualité d’une offre de formation de niveau master et de niveau doctorat, ainsi que des activités de recherche dans ses domaines de compétences, à savoir les sciences infirmières et les sciences de la santé. Il vise à former une relève de niveau universitaire pour la pratique, la formation et la recherche. L’IUFRS place, au centre de ses préoccupations, la pratique infirmière basée sur des preuves, la rigueur scientifique, la sécurité et la qualité des soins aux patient-e-s, aux familles et aux proches.