Série Maintenir la qualité et la sécurité en contexte de pénurie

Comment maintenir la qualité et la sécurité des patients, ou limiter l’impact négatif de la pénurie d’infirmières? Comment reconfigurer les rôles pour optimiser les compétences de chacun? Le Conseil consultatif Qualité & sécurité vous propose de découvrir, dans cette série, les réponses contextualisées de ses membres, à travers la francophonie, des initiatives qui alimenteront vos réflexions et les échanges sur le sujet dans vos milieux de soins et sur notre blog.

Joachim Rapin, infirmier, MScN, Ph. D.(c)
Président du Conseil consultatif Qualité & sécurité

Un projet mené par:

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TRIADE DE SOINS

LE MODÈLE COLLABORATIF DU RÉSEAU DE SANTÉ VITALITÉ AFIN D’ASSURER LA QUALITÉ ET LA SÉCURITÉ

Par Virgil Guitard, infirmier, B. Sc.
Directeur régional de la pratique professionnelle et de la documentation électronique
Réseau de santé Vitalité
Nouveau-Brunswick, CANADA

La pénurie infirmière est un enjeu mondial qui s’est accéléré depuis la pandémie. Pour y faire face, le Réseau de santé Vitalité (RSV) a mis en place un modèle collaboratif d’organisation des soins afin d’offrir, à la population du Nouveau-Brunswick (Canada), une expérience patient axée sur l’accessibilité et la qualité des soins.

La pénurie infirmière et ses impacts

Au Nouveau-Brunswick, dans l’une des trois provinces maritimes de l’Est du Canada, on estimait, en 2022, que 15% des postes d’infirmières étaient restés vacants dans le système de santé^[1]. Ce qui, pour le RSV − voir encadré −, représentait plus de 225 postes infirmiers à combler.

Le Réseau de santé Vitalité (RSV) est l’une des deux entités administratives responsables des hôpitaux et des services de santé dans la province canadienne du Nouveau-Brunswick. Organisation unique au pays par sa gestion francophone, le Réseau compte près de 60 points de service sur un territoire couvrant tout le nord et le sud-est du Nouveau-Brunswick et offre, à la population, un ensemble de soins et de services de santé.

Pour en savoir davantage sur le RSV:

Le manque de professionnels de la santé qualifiés a plusieurs impacts, tant pour les patients que pour le personnel. Ces effets sont connus et documentés: pour les patients, il y a des retards dans les prises en charge, un temps d’attente élevé aux urgences et des interruptions de services. Pour le personnel, de telles conditions de travail engendrent de l’épuisement, des départs prématurés à la retraite, des réorientations de carrière, des problèmes de santé mentale et un sentiment généralisé de ne pas pouvoir offrir des soins de qualité aux patients.

De manière plus particulière, au RSV, les membres du personnel ont exprimé, à maintes reprises, leur épuisement et ont qualifié leur charge de travail d’«écrasante». Nous avons enregistré, au cours de la dernière année, une augmentation de plaintes provenant d’employé.e.s et aussi des patient.e.s, et notre le taux de roulement de personnel s’est accentué durant cette période.

La nécessité de repenser notre modèle de prestation des soins: la démarche au RSV

Confrontée à ce manque important de personnel et à son impact, à la fois sur les équipes en place et sur les patients, la direction des soins infirmiers du RSV a entrepris une démarche de révision de l’organisation des soins, en vue d’améliorer les processus visant à rendre les équipes plus performantes, en misant sur la force du travail d’équipe. Ainsi, après avoir mené différentes rencontres et entrevues avec le personnel et les gestionnaires, l’impact de la pénurie d’infirmières et d’infirmières auxiliaires (aides-soignantes) a fait l’objet de longues discussions. La question centrale fut la suivante: comment repenser les rôles et redistribuer les tâches au sein des équipes soignantes pour améliorer l’expérience patient et l’expérience du personnel?

Lors de ces consultations, il a été suggéré, à plusieurs reprises, d’ajouter un préposé aux soins des patients au sein de l’équipe composée d’infirmières et d’infirmières auxiliaires. Or, l’introduction d’un nouveau membre dans l’équipe soignante nécessite une réflexion accrue pour bien déterminer les rôles et responsabilités de chacun, et ce, afin que les compétences soient bien utilisées dans les soins dispensés aux patients. Comme le souligne l’Organisation mondiale de la Santé (OMS): «Bien que les associations qui représentent les infirmier.ère.s favorisent normalement l’utilisation des soins infirmiers pour prodiguer la majorité des soins, la délégation des tâches est de plus en plus utilisée afin de gérer les nombreuses pénuries de professionnels en santé (World Health Organization (WHO), 2008)»^[2]. C’est donc cet axe que nous avons privilégié au RSV.

Dans une perspective de qualité des soins et de sécurité des patients, la direction des soins infirmiers du RSV a travaillé conjointement avec les Écoles des soins infirmiers et des hautes études publiques de l’Université de Moncton, afin de définir le modèle de soins infirmiers le plus approprié pour notre réseau. Ainsi, un rapport d’évaluation intitulé: Modèle de soins infirmiers collaboratif: intégration des préposés aux soins dans l’équipe soignante a été produit pour analyser les différents modèles existants. Selon la recommandation du rapport, «il est impératif pour le RSV d’identifier des stratégies pour: 1) utiliser efficacement les ressources humaines déjà en place; 2) améliorer la satisfaction des employés au travail afin de réduire les taux de roulement élevé parmi les emplois à l’intérieur du RSV; 3 améliorer la satisfaction au travail pour favoriser la rétention des employés et 4) améliorer la satisfaction des patients soignés dans les établissements de soins de santé»^[3].

Prestation de soins infirmiers et délégation de tâches

Les modèles de prestation de soins infirmiers (ou MPSIN) sont définis comme «des infrastructures permettant d’organiser et de fournir des soins aux patients dans le cadre des soins de santé, des ensembles de compétences requises, du contexte des soins et des résultats attendus»^[4]. Ils guident la façon dont les infirmières organisent leurs équipes de travail, communiquent et coordonnent avec les membres des équipes intraprofessionnelles et interprofessionnelles, et prennent des décisions partagées sur les soins aux patients (Fowler, Hardy et coll., 2006). L’idée générale est de déléguer des tâches, typiquement faites par un professionnel de la santé, à un paraprofessionnel ou un professionnel avec une expertise moins spécialisée, sous la supervision d’un professionnel (World Health Organization (WHO), 2008; McQuillin, Hagler et coll., 2021)^[5].

Triade de soins, le modèle de soins collaboratifs au RSV

Une revue de littérature, basée sur des données probantes^[6], a permis l’identification d’un modèle de soins ayant fait ses preuves: le Model of Care Initiative in Nova Scotia (2010)^[7]. Ce modèle a été retenu par la direction des soins du RSV pour son volet «gamme de compétences» (skill mix) et son volet «évaluation de projet». La littérature scientifique démontre que l’utilisation d’un modèle collaboratif est souvent proposée pour gérer les nombreuses pénuries de professionnels en santé et simultanément améliorer la satisfaction au travail et la rétention des employés. Ce modèle fut donc optimisé et adopté au RSV sous le nom de «modèle de soins collaboratifs: triade de soins». En effet, il permet l’ajout de préposés comme pourvoyeurs de soins, travaillant en triade (groupe de trois) avec l’infirmière et l’infirmière auxiliaire. Au cœur de cette triade, les champs d’exercices et les responsabilités de chacun (infirmière, infirmière auxiliaire, préposé aux soins) ont été revus et optimisés. Chez l’infirmière, l’emphase a notamment été mise sur le leadership clinique et, chez l’infirmière auxiliaire sur son autonomie dans la prestation de soins, sous la supervision de l’infirmière.

Chaque triade est composée d’une infirmière, une infirmière auxiliaire et un préposé aux soins pour environ dix patients.

Rôle et responsabilités de l’infirmière

Le rôle de l’infirmière a été optimisé pour qu’elle devienne responsable de la qualité des soins prodigués au patient et à sa famille, et s’assure que l’expérience de soins du patient soit coordonnée et intégrée tout au long du continuum. L’infirmière a la responsabilité d’identifier les besoins de soins du patient et de déléguer certaines tâches à l’intervenant de l’équipe le mieux formé pour l’exécution de celles-ci. L’infirmière, leader clinique, agit en tant que chef d’équipe: elle assigne les patients et les tâches aux membres de l’équipe selon leurs compétences, planifie et supervise la dispensation des soins, ainsi que l’évaluation des résultats.

Rôle et responsabilités de l’infirmière auxiliaire

L’infirmière auxiliaire est dorénavant autorisée et apte à fournir des soins infirmiers, de manière indépendante, auprès des patients considérés comme stables et sous la direction d’une infirmière, d’un médecin ou d’un pharmacien, lorsque les patients seront considérés comme instables. À ce moment, la responsabilité des soins peut être transférée à l’infirmière ou l’infirmière auxiliaire peut également assister l’infirmière dans la prestation de certains soins.

Rôle et responsabilités du préposé aux soins

Le préposé aux soins veille aux besoins de base des patients. Il assure une présence auprès d’eux et leur offre certains soins, tels que la prise des signes vitaux, la mesure de la glycémie et une assistance physique en vue de contribuer à leur rétablissement ou de les aider à maintenir leur état de santé. Il fait partie de l’équipe de soins et communique, aux membres de l’équipe de soins, les informations relatives à l’état de santé et au comportement du patient.

Un avenir prometteur

Avec l’appui du secteur de la recherche et planification du RSV, nous planifions actuellement une analyse de l’impact (plan de contrôle) de l’introduction de ce modèle de prestation de soins, avec la mesure de certains indicateurs postimplantation. Cette analyse nous permettra de cerner les défis, d’améliorer le modèle et de suivre l’évolution de sa mise en œuvre.

Cette réorganisation de la composition de l’équipe de soins fut d’abord mise en place sur certaines unités de soins (chirurgie, médecine, gérontologie) à titre de projet pilote. Après six mois de mise en place, on mesure déjà les effets positifs de ce modèle, selon la cueillette de données préliminaires^[8]:

Les patients sont très satisfaits des soins obtenus dans l’unité où les triades ont été mises en place, car cela a diminué les délais dans les soins et permis d’assurer une présence plus fréquente de personnel au chevet.
Les membres de l’équipe de soins rapportent être satisfaits de cette approche collaborative, qui fonctionne très bien et permet à chacun d’assumer son rôle et ses responsabilités de manière satisfaisante et de dispenser des soins selon leurs normes de qualité.

Les indicateurs suivants seront également mesurés en faisant usage d’audits ou de questionnaires auprès des unités ciblées par le modèle de soins collaboratif (triade de soins):

le nombre d’embauches de préposés (cible à atteindre);
la mise en place des triades de soins;
la mise en place de l’offre active;
la satisfaction au travail des membres de l’équipe soignante.

Pistes de réflexion

Malgré les effets positifs préliminaires recueillis à la suite de la mise en place de ce modèle de soins collaboratif, certains critères de réussite sont à garder en tête et nécessitent une vigilance de la part des infirmières:

Il est essentiel de bien définir les rôles et responsabilités de chacun. Les infirmières doivent avoir une vision claire de leur rôle de leader au sein de la triade de soins et donner les enlignements cliniques aux partenaires de l’équipe. Elles doivent développer la posture du leader des soins au sein de l’équipe et assurer le suivi des résultats de soins.
La formation initiale des infirmières doit mieux les préparer à assumer pleinement le leadership clinique attendu au sein de l’équipe de soins. Il est essentiel qu’il n’y ait pas de substitution à la compétence infirmière par les autres membres de l’équipe.
Le modèle collaboratif soulage les effets de la pénurie infirmière. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la pénurie de ressources humaines, en général, marque nos milieux de soins et qu’il va falloir continuer à rester créatif pour répondre aux besoins. Le recrutement d’infirmières, d’infirmières auxiliaires et de préposés demeure un enjeu.

Remerciements : Mélissa Duguay, infirmière conseillère en pratique professionnelle, étudiante à la maitrise en soins infirmiers – Université de Moncton (Nouveau-Brunswick, Canada)

Crédits photo : Réseau de santé Vitalité

[1] Il manque près de 200 médecins et 800 infirmières au Nouveau-Brunswick, Radio-Canada, 9 juin 2022

[2] Bouhamdani, N. et coll. (2022). Rapport d’évaluation: modèle de soins infirmiers collaboratif: intégration des préposés aux soins dans l’équipe soignante

[3] Idem

[4] American Nurses Credentialing Center (2017); Duffield, Roche, Diers, Catling-Paull, & Blay (2010)

[5] Bouhamdani, N. et coll. (2022). Rapport d’évaluation: modèle de soins infirmiers collaboratif: intégration des préposés aux soins dans l’équipe soignante

[6] Université de Moncton – Ann Rhéaume et Myriam Breau; Survol des modèles d’organisation des soins infirmiers; 27 juin 2021

[7] Dalhousie University/World Health Organization Collaborating Centre on Health Workforce Planning & Research (2010). «Model of Care Initiative in Nova Scotia». Repéré à https://novascotia.ca/dhw/mocins/docs/mocins-evaluation-report.pdf

[8] Réseau de santé Vitalité et Université de Moncton-Nadia Bouhamdani, PhD, Claire Johnson, PhD, David Leblanc et Caroline Boudreau II, Rapport d’évaluation: Modèle de soins infirmiers collaboratif: intégration des préposés aux soins dans l’équipe soignante. 29 novembre 2022

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