Décembre 2024
Qualité et sécurité
Au moment d’écrire ces lignes, les mots de ma collègue Soha Abdel Malak me reviennent.
« Comme tu le sais nous vivons et travaillons dans des conditions assez pénibles avec en musique de fond le bruit des bombardements et la présence assourdissante des drones jour et nuit. »
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Madame Abdel Malak, elle est infirmière, membre du Conseil consultatif Qualité et sécurité du SIDIIEF et directrice adjointe des soins du CHU de l’Hôtel-Dieu de France au Liban. En écho à ces mots qui évoquent l’engagement de nos collègues en période de guerre et des drones soutenus par des intelligences artificielles (IA), cet éditorial va aborder deux enjeux : (a) l’IA qui est au cœur de ce numéro et (b) l’engagement des infirmières.
L’intelligence artificielle et Q&S
Nos collègues du Conseil consultatif Formation infirmière, Dre Dominique Truchot-Cardot et Nathalie Daina-Laville relevaient, dans leur dernier éditorial du S@voir Inf. – Formation infirmière de novembre 2024, que l’IA est au cœur de nos activités. Une étude réalisée au CHU de Québec-Université Laval (Québec, Canada) a recensé 87 technologies intégrant une IA (Alami et coll., 2024). Le développement de l’IA semble prometteur pour la qualité des soins et la sécurité des patients. Par exemple, ces outils permettraient de réduire les erreurs diagnostiques et thérapeutiques, d’optimiser le travail et de réduire les temps d’attente (AI4Belgium et coll., 2022; Alami et coll., 2024); d’améliorer le suivi personnalisé des patients (AI4Belgium et coll., 2022); ou d’améliorer le tri des patients aux urgences (Kipourgos et coll., 2022), même de réduire les coûts.
Néanmoins, plusieurs auteurs relèvent des enjeux de financement majeurs (p. ex. pour le développement des infrastructures, de l’expertise et du support) qui s’inscrivent dans des partenariats public-privé (AI4Belgium et coll., 2022; Alami et coll., 2024), questionnant au passage la répartition des coûts et bénéfices, la priorisation des différents intérêts, ainsi que les stratégies et politiques nationales. Plus encore, l’IA transforme les systèmes de santé en introduisant de nouveaux rôles et acteurs, en modifiant des rôles traditionnels et en transformant les techniques et pratiques de soins, y compris pour les patients (Al Dahdah et Duclos, 2024; Weber et coll., 2022). Ce faisant, elle génère des enjeux adaptatifs, éthiques et sociopolitiques.
Engagement des infirmières
Dans ce contexte complexe, Dre Dominique Truchot-Cardot et Nathalie Daina-Laville proposent que nous nous engagions dans le processus de création et de mise en œuvre de l’IA pour l’influencer et nous assurer que ces technologies servent réellement les patientes et les professionnels de santé. Actuellement, des pistes de solution s’orientent vers le développement de technologies plus responsables, respectueuses des droits humains et éthiques, ainsi que des approches communautaires basées sur des technologies locales, open source ou développées en fonction des besoins réels des populations.
En complément à cette proposition fort pertinente, rappelons que les infirmières sont idéalement placées pour identifier les injustices et inégalités en matière de santé (Chinn et Kramer, 2021). Cette position originale peut influencer les politiques de santé et institutionnelles, ainsi que l’usage clinique de l’IA. Si les développements de l’IA sont directement reliés à la capacité des pays, des organisations privées ou publiques à les financer, ils pourraient alors creuser un peu plus les écarts préexistants (en matière de santé) ou induire, par exemple, une marchandisation des données, des soins ou des relations (Alami et coll., 2024).
Ce contexte rappelle l’importance que les infirmières s’organisent en réseau (p. ex. le SIDIIEF) pour débattre, élaborer des pistes de solution et, ainsi, maximiser notre impact politique concernant les enjeux, les décisions et les transformations liés à l’IA (Callon et Latour, 2006).
Plus encore, ce contexte nous renvoie à nos responsabilités sociales et éthiques, qui incluent la défense des droits des patients, la lutte contre les inégalités de santé et la promotion de systèmes de soins durables et équitables (Chinn et Kramer, 2021). En somme, les infirmières ont l’opportunité et la responsabilité sociale de s’engager comme des acteurs sociopolitiques, rôle qui dépasse les stéréotypes liés à notre profession (p. ex. des professionnels dédiés uniquement aux soins directs). Il s’agit de nous positionner et, à certains égards, de nous autonomiser de manière consciente et active dans un monde complexe.
Pour terminer et pour revenir à mon introduction, je souhaite personnellement exprimer ma gratitude à Madame Abdel Malak pour son engagement, ainsi que ma plus profonde solidarité avec nos collègues et les populations qui vivent la guerre.
Pour le Conseil consultatif sur la qualité et sécurité du SIDIIEF, je vous souhaite une bonne lecture.
Références complémentaires
Callon, M. et Latour, B. (2006). Le grand Léviathan s’apprivoise-t-il? In M. Akrich, M. Callon, & B. Latour (Eds.), Sociologie de la traduction: Texte fondateurs (pp. 14-35). Presses des Mines. http://books.openedition.org/pressesmines/1181
Chinn, P. L. et Kramer, M. K. (2021). Knowledge Development in Nursing: Theory and Process (11 ed.). Elsevier Health Sciences. https://books.google.ca
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