Décembre 2021
Qualité des soins et sécurité des patients
Bien que ce numéro du S@voir Inf. traite de la pénurie infirmière, cet éditorial débute par une histoire qui pourrait sembler, à certains égards, absurde et incongrue.
Si je devais expliquer à un pilote comment fonctionne une unité de soins, j’utiliserai la métaphore d’un vol d’avion. Notre journée débute avec l’annonce que le co-pilote et un agent de bord sont malades et non-remplacés. Une telle annonce devrait entraîner immédiatement le retard du vol, le temps de compléter l’équipe ou l’annulation de ce dernier, le cas échéant. Vrai pour les compagnies aériennes, mais pas dans notre compagnie, soit les soins de santé. Dans notre contexte, la pilote et les agents de bord se réorganisent rapidement pour maintenir et assurer les prestations à nos clients. Qui plus est, notre vol est surchargé. Deux passagers, installés dans l’allée centrale, sont assis sur leur valise. Effectivement, notre compagnie ne refuse aucun client. Nous accueillons tous les passagers qu’importe leurs conditions, croyances, passé, droit de séjour ou même qu’ils détiennent un billet ou non. Durant le vol, un passager agressif souhaite nous quitter au plus vite. Il ne souhaite pas que l’avion se pose, il dit avoir un parachute. Les agents de bord tentent de le retenir sans succès. Un agent fait alors compléter une décharge à ce passager pendant que sa collègue va chercher les effets personnels de ce client dans la soute afin d’éviter une rixe.
Encore plus insolite, de nouveaux passagers embarquent à tout moment. Comment sont-ils arrivés là en plein vol? Personne ne le sait. Il faut dire qu’ils ne sont pas toujours annoncés. Malgré la surcharge, les agents de bord ne peuvent décemment pas les laisser assis sur l’aile de notre avion. Ils installent ces passagers le plus confortablement possible dans l’allée centrale. Puis, ces agents effectuent leur enregistrement et étiquettent leurs bagages, même si ces activités ne font pas partie de leur cahier des charges. Malheureusement, il arrive qu’un passager décède durant le vol, sans pour autant que l’avion ne change sa route. L’agent de bord soutient les proches, puis se hâte de descendre le corps en soute pour offrir cette place à un passager installé dans l’allée.
Avec ces nombreux imprévus, ces professionnelles revoient régulièrement l’entier de leur planification afin d’offrir la meilleure expérience à tous leurs clients. Ces derniers reçoivent, par exemple : leur repas, des informations pour leur passage de la douane ou leur connexion, des réponses à leurs besoins changeants ou du soutien en cas de mal du voyage.
Finalement, le vol atterrit avec quinze minutes de retard. Nos agents de bord et notre pilote vont se coucher épuisées dans leur chambre d’hôtel… à l’exception d’une collègue qui doit repartir d’urgence sur le vol retour, car trois agents sont malades. Bien que cette pratique soit illégale dans le milieu des transports pour une raison de sécurité, elle l’est dans notre compagnie des soins. Va savoir pourquoi? L’aviation est un exemple pour assurer la sécurité de ces clients.
Vous pensez que cette métaphore est exceptionnelle? Dans de nombreux milieux, elle est quotidienne. Qui plus est, avec la pandémie de la COVID, certains agents de bord et pilote ont dû dans l’urgence changer d’équipe, voler sur des avions qu’ils ne connaissaient pas, dans des conditions et un environnement des plus incertain.
Selon le Conseil international des infirmières (CII), il y a 27,9 millions d’infirmières dans le monde et, aujourd’hui, il en manque 5,9 millions (CII, 2021). Avec le vieillissement de la population et la pandémie de la COVID, ce déficit pourrait grimper à 13 millions (CII, 2021). Une solution serait de former plus d’infirmières. Toutefois, nos systèmes de santé peinent à les retenir et certains gouvernements à passer de la parole aux actes (CII, 2021). Comment s’explique cette situation?
De nombreux documents présentés dans ce S@voir Inf. revèlent des conditions de travail complexes et difficiles, où des controverses émergent entre productivité, qualité des soins et résultats aux patients, entre individualisation et standardisation des soins, entre expertise clinique et gestion décontextualisée, entre un monde complexe et simplifié. Certains documents évoquent des organisations déficientes et peu agiles; l’existence de gouffres entre des infirmières et des gestionnaires déconnectés de la pratique clinique, d’un paternalisme; un manque de sens au travail, d’espaces réflexifs, d’équilibre entre vie privée et professionnelle, de reconnaissance, d’autonomie, de capacitation, d’étendue de la pratique, de collaboration et de développement de connaissances et de compétences postgrade dans un milieu où celles-ci sont en constante transformation.
Avec l’histoire et les problématiques pré-citées, mon objectif n’est pas de renier la contribution de la sécurité aérienne à celle des soins, du Lean management à l’organisation des flux ou encore du New public management à la gestion hospitalière. Toutefois, depuis plus de 40 ans, nous – infirmières – développons des connaissances et des propositions pour adresser la pénurie infirmière. Ces propositions visent à développer l’attractivité de la profession et la rétention des professionnels formés. Sont-elles entendues ou reçues? Certains gouvernements et décideurs tendent à considérer la dotation infirmière comme un coût plutôt qu’une ressource essentielle à nos systèmes de santé (CII, 2021). Dans ce contexte, le CII lance cet appel : « Le CII invite instamment les gouvernements à protéger la sécurité et le bien-être des infirmières; à leur fournir un soutien psychosocial adéquat à la lumière des traumatismes qu’elles subissent; et à s’engager dans des stratégies de long terme pour renforcer la disponibilité mondiale de personnels infirmiers. » (CII, 2021, p. 4)
Ce S@voir Inf. propose des résumés de documents infirmiers et interprofessionnels rigoureux, récents, contextualisés, impliquant de nombreuses parties prenantes pour lutter directement ou indirectement contre la pénurie infirmière. Il met en avant des documents qui proposent des mesures pour développer l’attractivité de la profession et la rétention des professionnels formés. Bien que ces documents soient une étape importante, ils ne suffisent pas. Ils nécessitent notre mobilisation sociopolitique collective. En effet, chaque mobilisation est essentielle, par exemple, auprès de nos proches, dans notre communauté, nos réseaux, milieux de travail, syndicats, associations ou partis politiques.
En conclusion, il est à signaler que ce texte a été écrit trois jours avant une votation nationale en Suisse pour des soins infirmiers forts : OUI le 28 novembre – Initiative soins infirmiers. Cette initiative populaire vise à lutter contre la pénurie infirmière en inscrivant dans la constitution fédérale l’obligation de la Confédération et des Cantons de soutenir la formation, de prévenir les abandons de la profession et de garantir un nombre d’infirmières suffisant. Bien que non soutenue par mon gouvernement, cette initiative populaire a connu une mobilisation très importante ce qui est une première victoire. J’espère qu’elle sera acceptée par le peuple suisse.
Pour le Conseil consultatif sur la qualité des soins et sécurité des patients du SIDIIEF, je vous souhaite une bonne lecture.
Conseil international des infirmières. (2021). La pénurie mondiale du personnel infirmier et la fidélisation des infirmières. Note d’orientation du conseil international des infirmières. Repéré à : ICN Policy Brief_Nurse Shortage and Retention_FR.pdf
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