Série Maintenir la qualité et la sécurité en contexte de pénurie

Comment maintenir la qualité et la sécurité des patients, ou limiter l’impact négatif de la pénurie d’infirmières? Comment reconfigurer les rôles pour optimiser les compétences de chacun? Le Conseil consultatif Qualité & sécurité vous propose de découvrir, dans cette série, les réponses contextualisées de ses membres, à travers la francophonie, des initiatives qui alimenteront vos réflexions et les échanges sur le sujet dans vos milieux de soins et sur notre blog.

Joachim Rapin, infirmier, Ph. D.
Président du Conseil consultatif Qualité & sécurité

Un projet mené par:

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Assurer une relève infirmière par une intégration réussie, les Hôpitaux universitaires de Genève s’engagent

Par Véronique DAUDET-THOMAS, chargée de projet « cursus d’intégration des primo- emplois », Pôle interprofessionnalité, Direction des soins

Face aux besoins de personnels en Suisse, une initiative pour « des soins infirmiers forts »

Selon le rapport de l’Observatoire suisse de la santé (OBSAN) paru en mars 2021, les hôpitaux suisses devraient employer 19100 personnes supplémentaires à l’horizon 2035, dont 12900 soignants et soignantes du degré tertiaire (c.-à-d. le niveau collégial et universitaire au Canada) pour couvrir les besoins en personnel supplémentaire ainsi que les départs à la retraite.

À ce niveau de formation, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a d’ailleurs projeté une hausse du nombre de diplômes délivrés d’environ 28% entre 2019 et 2029. À Genève, l’évolution des effectifs d’étudiants inscrits au Bachelor of science (BSc) en Soins Infirmiers à la haute école de santé témoigne de cette dynamique. Le nombre de diplômés a progressé de 33% au cours des sept dernières années.

Néanmoins, l’écart entre l’offre et les besoins de relève est principalement déterminé par les sorties précoces de la profession et l’absence d’entrée dans la profession à l’issue de l’acquisition du titre (Merçay et coll., 2021). Dans ce contexte, et sous l’initiative de l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), le peuple a approuvé, en novembre 2021, l’initiative «Pour des soins infirmiers forts» avec, pour première étape, l’offensive sur la formation.
(https://www.admin.ch/content/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-92653.html).

Aux HUG, un projet d’accompagnement des nouveaux soignants développé en quatre étapes

Dans le cadre du projet du plan stratégique de la direction des soins sur l’axe «accueil et intégration des nouveaux collaborateurs», une cheffe de projet est mandatée, en 2020, afin de faciliter l’intégration des primo-emplois en soins infirmiers et soutenir l’appropriation et le développement des compétences de manière harmonisée sur l’institution.

Note: Le terme de primo-emploi fait référence au premier emploi occupé par une personne après avoir terminé ses études ou après une période de formation. Il s’agit des premières expériences professionnelles dans la carrière d’un individu.

À cette époque, chaque département médical met en place des mesures spécifiques d’accompagnement pour accueillir et intégrer les nouveaux collaborateurs soignants, mais il n’existe pas d’approche commune à l’exception d’une semaine d’intégration institutionnelle.

Étape 1

État des lieux

Début 2022, un sondage est effectué auprès des primo-emplois après 12 à 18 mois d’expérience, c’est-à-dire auprès d’une cohorte engagée au cours de la crise sanitaire Covid-19. L’objectif était d’évaluer l’accompagnement reçu pendant cette première année d’expérience professionnelle, ainsi que leur satisfaction. Les résultats ont pu mettre en évidence une très bonne satisfaction de l’accueil par les équipes de soins. Cependant, il ressortait que l’encadrement pouvait être amélioré en ce qui concerne le soutien par des tuteurs, l’auto-évaluation et la rétroaction. Nous avons été particulièrement préoccupés par un taux de 38% de réponse des primo-emplois qui avaient pensé à abandonner la profession au cours de la première année.

Étape 2

Revue de littérature

Le concept de «novice à expert» de Benner (1995) nous a aidé à mieux situer le niveau de performance qu’il est possible d’attendre des jeunes diplômés. Par ailleurs, nous avons porté notre attention sur les étapes de la transition, du statut d’étudiant à professionnel en soins infirmiers, et sur l’évolution des compétences au travers de ce processus. Étapes identifiées depuis les années 60 par Kramer (1966) et prolongées par Duchsher (2007). Il ressort de ces travaux qu’il existe une forte dichotomie entre la réalité de la pratique des nouvelles infirmières, intégrant pour la première fois les milieux de soins, et ce à quoi elles ont été exposées au cours de leurs études, causant un choc de transition. Illustré par le doute, la confusion et la désorientation, le modèle de choc de la transition (Duchscher, 2007) permet de mieux penser l’intégration des primo-emplois au cours de leur première année de pratique. Quatre conclusions ont émergé de la revue de littérature réalisée.

1. Soutien social

En s’engageant en tant que nouveau diplômé dans un milieu professionnel où s’exercent une complexité et une spécialisation croissante des soins, il est nécessaire d’être accompagné pour favoriser une bonne adaptation.

Un plan d’intégration anticipé et un encadrement adapté au contexte de l’équipe et aux spécialités cliniques contribuent à améliorer le soutien social du primo-emploi par l’équipe. Il est essentiel que l’équipe ait conscience de son rôle de facilitation de la transition. Le rôle du cadre de proximité est fondamental dans la mise en œuvre du cursus d’intégration (Favre et Roussel, 2013; Husein et coll., 2019; Roy et Robichaud, 2016).

2. Nécessité d’encadrement

Durant leurs 6 à 12 premiers mois de pratique, les primo-emplois en soins infirmiers rencontrent des difficultés à mobiliser et à mettre en pratique les concepts acquis durant leurs études. Proposer un temps d’encadrement est essentiel pour consolider les compétences face aux situations de soins complexes et accroître l’expertise.

Les bénéfices reconnus des programmes de transition pour les nouvelles infirmières portent notamment sur le développement des compétences, la sécurité des patients et la rétention du personnel (Tyndall et coll., 2018; Hickerson et coll., 2016).

3. Temporalité du soutien

Les différentes modalités de soutien doivent s’étendre au minimum sur une période de 6 à 12 mois pour accompagner efficacement le développement des compétences des primo-emplois (Benner, 1995). Un programme d’intégration structuré d’une durée de 6 à 12 mois offre un soutien maximal aux jeunes diplômés pendant leur transition. Il accroit la confiance, améliore le déploiement des compétences, augmente la satisfaction à l’emploi et à la socialisation, et diminue le stress. (Trepanier, Early, Ulrich et Cherry, 2012).

4. Modalités d’accompagnement efficaces

Plusieurs programmes de transition établis aux États-Unis, au Canada et en Australie ont été sources d’inspiration. Ces programmes sont nommés «orientation», «préceptorat» ou encore «résidence». Le préceptorat, le mentorat, le soutien à la réflexivité par les pairs et la rétroaction régulière sont des modalités d’accompagnement ayant démontré leur efficacité (Severson, 2015; Hampton et coll., 2021).

La démarche d’auto-évaluation est essentielle à mobiliser afin que les jeunes diplômés puissent plus facilement situer leur niveau de compétences et réfléchir aux activités permettant des réajustements (Larue et coll., 2013).

Étape 3

Travail de groupe

Quatre axes ont été retenus de manière collective pour construire le cursus d’intégration des primo-emplois en soins infirmiers.

Axe 1: Intégration dans l’équipe et socialisation
Axe 2: Accompagnement par le coaching (mentorat)
Axe 3: Guidage de l’auto-évaluation: construction d’un guide d’auto-évaluation s’appuyant sur les compétences attendues au niveau de l’institution (de manière transversale et non spécifique à une spécialité clinique)
Axe 4: Accompagnement de la réflexion rétrospective par l’analyse de la pratique

Quatre sous-groupes composés de huit collaborateurs répartis en fonction de leurs compétences ont travaillé sur chacun de ces axes avec l’accompagnement de la cheffe de projet. Les collaborateurs impliqués étaient des infirmières et des cadres de proximité.

Étape 4

Synthèse et propositions

Le «cursus d’intégration pour les primo-emplois en soins infirmiers» retenu repose sur les quatre axes décrits dans le schéma suivant.

Il se décline de la manière suivante.

De l’implémentation aux ajustements du cursus d’intégration

Depuis le printemps 2022, ce cursus d’intégration s’intègre dans le parcours commun aux nouveaux collaborateurs soignants de l’institution. Chaque département implémente le dispositif lors de l’engagement de primo-emplois.

La direction des soins accompagne l’ensemble du processus à travers plusieurs actions.

La mise en place de sessions d’analyses de la pratique.
Des points de situations avec les cadres de proximité de chaque département.
Une évaluation du cursus d’intégration mis en place auprès primo-emplois et de leur encadrement.

Un sondage effectué en mai 2023 au sein de tous les départements a permis d’apprécier la mise en œuvre des composantes du programme d’intégration pendant les six premiers mois. Le diagramme suivant représente le taux de réponses positives des primo-emplois pour chaque modalité du cursus d’intégration mise en place pendant leur six premiers mois d’engagements. 60% des collaborateurs sollicités ont répondu à l’enquête.

Plusieurs ajustements ont été réalisés en s’appuyant sur ces résultats:

La redéfinition des rôles de tuteurs et de mentors (voir tableau).
La création d’une page intranet «intégration des nouveaux collaborateurs» afin de mettre en visibilité le projet et les outils développés pour tous les collaborateurs des HUG.
Un soutien à la planification et à la gestion de l’animation des sessions d’analyses de la pratique.
Le développement d’une formation au mentorat.
L’organisation d’une journée annuelle des mentors.

Point de vigilance et perspectives

Dans un contexte où le renouvellement des équipes est majoritairement constitué par de jeunes diplômés, l’accompagnement de ce changement est un défi majeur au sein de l’institution. Les équipes rapportent que l’implémentation du cursus d’intégration a permis de sensibiliser les équipes de soins à l’importance d’accompagner la transition pour les primo-emplois.

L’engagement des équipes est à souligner, car les collaborateurs sont également sollicités pour encadrer de nombreux stagiaires et intérimaires tout en faisant face à une charge de travail importante dans des contextes de soins complexes. Il est crucial de veiller non seulement au bien-être des personnes en transition, mais également à celui des équipes d’encadrement afin d’éviter l’épuisement professionnel. Par conséquent, soutenir et renforcer le programme d’intégration est une priorité actuelle.

Évaluer l’impact de ce cursus d’intégration sur la qualité des soins apparaît comme une étape indispensable. Un projet de recherche avec la Haute école de santé de Genève est en cours d’élaboration. Cette étude vise à fournir des données tangibles sur les effets du cursus d’intégration sur la performance et la qualité des soins dispensés, permettant ainsi de mieux orienter les efforts d’accompagnement et de développement professionnel des jeunes diplômés et diplômées.

Forte de cette expérience réussie, la direction des soins a émis un nouveau mandat en 2024 afin de soutenir l’intégration d’autres professionnels de santé, tels que les physiothérapeutes, les diététiciennes, les ergothérapeutes et les techniciens en radiologie.

Remerciements

Merci pour le soutien de ma collègue Stéphanie FERY, responsable du Vivier Jeunes Talents et notre direction, en particulier Sandrine BOIRE MAMODE, adjointe de la direction des soins et responsable Pôle interprofessionnalité, Fabienne FOUCHARD-CHAVATTE, adjointe de la direction des soins et responsable Pôle transformation dans les soins, Isabelle OVAN-MACREZ, responsable des soins, Service des mesures institutionnelles et responsable du projet intégration des nouveaux collaborateurs, Direction médicale et qualité.
Merci à notre chargée de la communication, Camille HOMBERGER, direction de la communication.

Bibliographie

Benner, P. (1984). De novice à expert: excellence et puissance dans la pratique infirmière clinique. Menlo Park, Californie: Addison-Wesley.

Confédération Suisse. (2024). Initiative sur les soins infirmiers: nouvelle loi et mesures supplémentaires pour améliorer les conditions de travail.
https://www.admin.ch/content/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-92653.html

Duchscher, J. E. B. (2009). «Transition Shock: The Initial Stage of Role adaptation for Newly graduated Registered Nurses». Journal of Advanced Nursing, 65(5), 1103-1113. https://DOI:10.1111/J.1365- 2648.2008.04898.x.

Fabre, C. et Roussel, P. (2013). L’influence des relations interpersonnelles sur la socialisation organisationnelle des jeunes diplômés. Revue de gestion des ressources humaines, 87, 3-22. https://doi.org/10.3917/grhu.087.0003

Hampton, K. B., Smeltzer, S. C. & Ross, J. G. (2021). «The transition from nursing student to practicing nurse: An integrative review of transition to practice programs». Nurse Education in Practice, 52. https://doi.org/10.1016/j.nepr.2021.103031

Hickerson, K.A., Taylor, L.A., & Terhaar, M.F. (2016). «The preparation-practice gap: an integrative literature review». J Contin Educ Nurs. 47(1):17-23. https://doi.org/10.3928/00220124-20151230-06

Hussein, R., Salamonson, Y., Everett, B., Hu, W., & Ramjan, L. M. (2019). «Good clinical support transforms the experience of new graduates and promotes quality care: A qualitative study». Journal of nursing management, 27(8), 1809–1817. https://doi.org/10.1111/jonm.12880

Kramer, M. (1974). «Reality Shock. Why nurses leave nursing». Massachusetts: C.V. Mosby Company.

Larue, C., Dubois, S., Girard, F., Goudreau, J. et Dumont, K. (2013). Le développement continu des compétences de raisonnement clinique et de leadership: facteurs personnels et facteurs organisationnels. Recherche en soins infirmiers, 112, 76-87. https://doi.org/10.3917/rsi.112.0076

Merçay, C., Grünig, A. et Dolder, P. (2021). Personnel de santé en Suisse – Rapport national 2021. Effectifs, besoins, offre et mesures pour assurer la relève (Obsan Rapport 03/2021). Neuchâtel: Observatoire suisse de la santé.
https://www.obsan.admin.ch/sites/default/files/2021-11/Obsan_03_2021_RAPPORT.pdf

Roy, J. et Robichaud, F. (2016). Le syndrome du choc de la réalité chez les nouvelles infirmières. Recherche en soins infirmiers, 127(4), 82-90. https://doi.org/10.3917/rsi.127.0082

Severson, C. (2015). Éducation: Encourager le mentorat à travers le perfectionnement professionnel. Canadian Oncology Nursing Journal, 25(2), 222.

Trepanier, S., Early, S., Ulrich, B., & Cherry, B. (2012). «New Graduate Nurse Residency Program: A Cost-Benefit Analysis Based on Turnover and Contract Labor Usage». Nursing Economic, 30(4), 207– 214.

Tyndall, D. E., Firnhaber, G. C., & Scott, E. S. (2018). «The Impact of New Graduate Nurse Transition Programs on Competency Development and Patient Safety: An Integrative Review». Advances in nursing science, 41(4), E26–E52. https://doi.org/10.1097/ANS.0000000000000217

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