Série Enjeux de la formation infirmière à travers le monde
Notre nouvelle série d’articles rédigés par les membres du Conseil consultatif formation infirmière.
Un projet mené par:
Série Enjeux de la formation infirmière à travers le monde
Notre nouvelle série d’articles rédigés par les membres du Conseil consultatif formation infirmière.
Un projet mené par:
Par Maguy Aembe, infirmière, B. Sc.
Enseignante, Institut supérieur en science infirmière
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
En juin 2022, le Conseil International des Infirmières (CII) dénonçait l’augmentation alarmante des mouvements de grèves infirmières dans plusieurs pays. Pour le CII, cette situation est une conséquence directe de l’incapacité des gouvernements à s’attaquer aux causes profondes de la fragilité, de l’affaiblissement grave et, dans certains cas, de l’effondrement des systèmes de santé [1].
Déjà sous pression en raison d’un manque chronique de professionnels de santé qualifiés et du sous-financement des soins de manière générale, la gestion de la pandémie de Covid-19 s’est ajoutée à la surcharge de travail des infirmières et des infirmiers. Au cours des deux dernières années, la situation a été de nombreuses fois décriée dans les médias : les infirmières et les infirmiers sont épuisés, plusieurs souffrent de surmenage et de stress, et quittent la profession [2].
C’est pourquoi, dans bon nombre de pays, les infirmières et les infirmiers se sont engagés dans des actions revendicatives. De manière générale, les infirmières réclament des conditions de travail sécuritaires leur permettant d’assumer pleinement leur rôle auprès de la population et une reconnaissance salariale juste.
Ces actions de revendications prennent une autre ampleur dans des pays africains, comme la République démocratique du Congo (RDC), où non seulement les infirmières et les infirmiers réclament des conditions de travail décentes et une rémunération conséquente à leurs responsabilités, mais les leaders de la profession se mobilisent aussi, et ce, depuis plusieurs années, pour avoir accès à des programmes de formation visant, entre autres, le rehaussement des compétences infirmières. La profession infirmière en RDC souhaite contribuer activement à l’effort collectif pour améliorer la santé et accélérer le progrès vers l’atteinte des Objectifs de développement durable à l’horizon 2030.
Ce n’est qu’en 2015 que le gouvernement congolais a reconnu le rôle propre de l’infirmier avec la création de l’Ordre National des Infirmiers du Congo (ONIC) (Loi N°16/015 du 15 juillet 2015). Mais, aujourd’hui encore, la profession souffre du manque de reconnaissance socio-professionnelle de son rôle.
Pourtant, les infirmières et les infirmiers jouent un rôle important. Ils sont, la plupart du temps, la porte d’entrée du système de santé : ils doivent assurer les soins dans les dispensaires, les centres et postes de santé, ainsi que dans les hôpitaux, et ce, tant en milieu urbain, semi-urbain que rural ou difficile/éloigné. Ils doivent répondre à une diversité de besoin, qu’il s’agisse de traiter la maladie, prévenir les risques, améliorer les conditions de vie, réduire les inégalités et protéger la santé des populations, etc. De plus, la migration des infirmiers vers d’autres cieux créée une surcharge de travail due à un déficit en nombre d’infirmiers pour répondre aux besoins de leur population.
Aujourd’hui, la profession réclame une reconnaissance de sa contribution au système et à la société. Cette reconnaissance passe par une revendication salariale et des conditions de travail respectueuses, parmi lesquelles figurent les promotions en grade, l’augmentation du barème salarial et l’inscription des « nouvelles unités (NU) » sur les listes de paie. En effet, l’acronyme NU est l’appellation commune des agents nouvellement engagés dans le secteur public. Cet engagement commence au niveau des différentes structures de soins. La NU commence à travailler régulièrement dans la structure (sans rémunération) en attendant que son statut soit reconnu au niveau du service public afin d’être aligné dans la liste de paie. Ce processus normalement temporaire peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années.
En août 2021, les infirmiers et autres personnels de santé des institutions publiques avaient observé six mois de grève. L’implication du Conseil national de l’ONIC avait permis de suspendre cette grève et de reprendre les négociations avec le gouvernement. Un protocole d’accord a été signé avec le gouvernement qui s’est engagé à respecter ses engagements qui reposaient sur les principales revendications ayant conduit à la grève.
Cette crise sociale n’ayant pas été résolue, les infirmiers observent, à la fin d’août 2023, une grève de deux mois, grève à laquelle les administratifs et autres professionnels de la santé se sont associés. Cette fois, les différents syndicats ont appelé à une grève « sèche et générale », paralysant ainsi le fonctionnement de tout le système de santé. Plusieurs centres de santé publics ont fermé leurs portes et les médecins, dans les centres et hôpitaux de référence, ont tenté tant bien que mal de pallier l’absence des autres professionnels en assurant le service de soins à la population. Les hôpitaux privés non concernés par la grève ont fait face à un afflux de la demande de soins qui a augmenté la charge de travail du personnel.
Cette grève a soulevé des questions fondamentales liées non seulement à la protection de la santé de la population, mais aussi à l’avenir de la profession et à la formation des futures infirmières. En effet, la population a éprouvé d’énormes difficultés à accéder à une prise en charge de sa santé; quelques cas de décès ont été rapportés à travers le pays par manque de soins de santé appropriés à cause de la grève des infirmiers, notamment celui des enfants dans la zone de santé de Samba (Maniema), où sévit actuellement une épidémie de rougeole [3].
Par ailleurs, les institutions de formation des infirmières se sont retrouvées dans l’impossibilité d’organiser les stages des apprenants par manque de personnel disponible pour accompagner les stagiaires en clinique. Certains étudiants ont suspendu leur stage par solidarité avec leurs encadreurs ou, encore, par contrainte. D’autres, en revanche, sont restés travailler en lieu et place de leurs encadreurs, sous la direction des médecins, réduisant leur rôle en exécutant des prescriptions médicales et les exposant ainsi à des erreurs non contrôlées.
Nous reconnaissons la pertinence des revendications syndicales des infirmières et infirmiers, car tout travailleur a le droit de dénoncer des conditions de travail inacceptables auxquelles il est soumis. Mais, il est essentiel que les infirmières et les infirmiers de la RDC adoptent une attitude professionnelle et assument leur rôle et responsabilité professionnelle envers la population : une grève sèche, sans assurer les services essentiels à la population, est incompatible avec les valeurs intrinsèques à la profession.
La formation est la pierre angulaire de la déontologie infirmière. Il devient urgent de développer de futurs leaders dédiés à la culture professionnelle appliquant les grands principes déontologiques. Cela doit faire partie intégrante du cursus de formation et être évalué dans un processus d’assurance qualité des programmes. La relève infirmière doit être initiée à développer une attitude réflexive face à des situations complexes de la vie professionnelle. Elle doit développer une sensibilité morale afin de faire valoir, en tout temps, l’humanisme en tant que valeur fondamentale de la profession infirmière.
Cela interpelle non seulement l’infirmière ou l’infirmier de manière individuelle, mais, également nos institutions qui nous représentent, dont l’ordre infirmier. L’ONIC doit adopter une posture professionnelle afin de jouer, d’une part, son rôle de protection du public en développant des politiques dynamiques et en soutenant les syndicats afin d’orienter l’attitude professionnelle et le comportement de leurs membres face à de telles situations. D’autre part, l’ONIC doit également être proactif et agir de façon déterminée auprès du gouvernement pour améliorer les conditions de travail et d’emploi des infirmières tout en protégeant le public.
Il sied enfin de rappeler au gouvernement congolais de faire face à ses responsabilités et de trouver une solution durable d’amélioration des conditions sociales des personnels de la santé. Car, bien que la grève ait été officiellement suspendue, il reste des situations non résolues qui pourront encore soulever d’autres mouvements de contestations qui affecteront la qualité des soins et des services rendus à la population, ainsi que celle de la formation infirmière.
[1] Conseil International des Infirmières (CII). L’accroissement alarmant des actions revendicatives des infirmières est un symptôme de la crise mondiale des systèmes de santé, 16 juin 2022. Repéré à :
[2] CII. Note d’orientation du CII – La pénurie mondiale du personnel infirmier et la fidélisation des infirmières, 11 mars 2021.
[3] Radio Okapi. Grève des infirmiers en RDC : plus de 16 enfants morts par manque de soins à Samba, 20 septembre 2023.
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Sincères Félicitations à vous, infirmière Maguy Aembe, pour cette brillante publication, qui interpelle non seulement le gouvernement congolais, mais aussi appelle les infirmiers et infirmières au respect des principes déontologique qui est bien-sûr le fondement de la profession infirmière, dont la formation est la pierre angulaire.
Moi personnellement je suis victime de ce grève tant que Étudiant, notre stage clinique à été suspendu pendant deux mois, ce qui nous ont mis encore en retard de plus, nous sommes de l’année académique 2021-2022, traînons encore jusqu’aujourd’hui à l’istm.
S.e/ NZUNGUBA BIBOR Manassé, étudiant de L3 S.I/Soins généraux (ISTM-KIN
J’ai beaucoup apprécié l’idée, au fil du temps je vous présenter mon point de vue