Pratique infirmière avancée: innover pour impulser le changement

Article publié le : 27 février 2024

Ce mot de la directrice générale est tiré de sa conférence donnée lors des 7emes Journées nationales de l’infirmière en pratique avancée (7-8 décembre 2023, Paris)

Avec pour thème S’unir pour prévenir — Un enjeu de santé publique, les 7èmes Journées nationales des infirmiers en pratique avancée – JNIPA s’inscrivent dans les priorités ministérielles françaises faisant de la promotion de la santé et de la prévention un axe majeur de sa stratégie nationale de santé [1]. «La prévention est «la condition de la soutenabilité de notre système et le premier des combats contre les inégalités sociales et territoriales» , précisait récemment Aurélien Rousseau, ancien ministre français de la Santé et de la Prévention [2].

L’ambition est claire : moderniser les politiques nationales de santé et transformer le système de santé, en donnant la priorité à la prévention et l’accès aux soins. C’est donc un appel à tous les acteurs de la santé qui est lancé afin que la prévention ne soit plus seulement un concept, mais une réalité, pour que tout citoyen français, quel que soit son âge ou sa condition, puisse accéder à une meilleure santé et à de meilleurs soins.

La profession infirmière et, ici plus particulièrement, les infirmières en pratique avancée, doit non seulement répondre à l’appel, mais présenter stratégiquement des solutions infirmières qui contribueront significativement à transformer le système de santé, afin qu’il réponde plus adéquatement aux besoins de santé actuels et futurs de la population. Rappelons que la promotion de la santé et la prévention de la maladie sont intrinsèques à notre profession, et accompagnent nos actions, aussi bien dans les soins donnés individuellement, que dans une perspective populationnelle. Cette approche écologique d’intervention en promotion de la santé permet de prendre en compte les interactions complexes de l’individu avec son environnement. Une approche qui se déploie pleinement au sein d’une collaboration interprofessionnelle.

Rappel du contexte et des enjeux

Ce virage du ministère de la Santé et de la Prévention vers la prévention et la promotion est incontournable, au regard du contexte marqué par les enjeux de pérennité des systèmes de santé, en France comme dans la plupart des autres pays. Des systèmes marqués par des enjeux de transitions démographiques, technologiques et épidémiologiques, et leurs incidences majeures sur les coûts des systèmes de santé, l’organisation des soins et le développement des pratiques cliniques. Parmi ces enjeux croissants et connus depuis plusieurs années, notons :

  • Vieillissement de la population et comorbidités;
  • Augmentation des maladies chroniques;
  • Augmentation des coûts de traitements de plus en plus poussés et qui nécessitent une réorganisation des soins et des services;
  • Pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le domaine de la santé.

Ces éléments mettent à rude épreuve nos systèmes de santé et entravent sa capacité à assurer une prise en charge intégrée et complète.

Autre élément indéniable du système dont nous héritons aujourd’hui : depuis plus de 50 ans, nous avons accordé une importance disproportionnée aux soins tertiaires spécialisés, qualifiés souvent de techno-médico-hospitalo-centriques. Cette façon de faire, qui positionne le système de santé autour de l’hôpital et des soins ultraspécialisés, nuit au plein déploiement de la promotion de la prévention et des initiatives qui en découleraient.

Force est de constater aujourd’hui que, malgré les investissements financiers exponentiels dans les soins, les systèmes de santé peinent à fonctionner adéquatement. De plus, la population manifeste une insatisfaction croissante face à l’incapacité des services à répondre à leurs besoins. Nous avons surinvesti le curatif ultraspécialisé au détriment du préventif et nous en payons aujourd’hui les frais.

D’où l’importance d’opérer un virage important, une révolution quasi copernicienne en agissant en amont des problèmes de santé et en mettant les efforts nécessaires à la promotion et à la prévention. Rappelons également que prévention et promotion ne sont pas isolées, elles s’inscrivent plus largement dans une approche dite de Santé primaire.

« Les soins de santé primaires garantissent que les personnes reçoivent des soins complets et de qualité, depuis la promotion et la prévention jusqu’au traitement, à la réadaptation et aux soins palliatifs, au plus près possible de leur environnement quotidien. […] Les soins de santé primaires sont la pierre angulaire d’un système de santé durable et propice à la réalisation de la couverture sanitaire universelle » (OMS, 2021) [3].

Miser sur des soins politiquement, socialement et économiquement acceptables

En votre qualité de professionnelles de la santé, vous êtes maintenant invitées à vous mobiliser et à vous engager activement en faveur de la santé, dans toutes ses dimensions. Le système ne doit plus reposer sur une vision hospitalo-centrique; il doit également être repensé dans son fonctionnement, en abandonnant les actions en silo au profit d’une véritable démarche intersectorielle, mettant la personne et la communauté au centre de nos préoccupations. Notre profession est l’une des mieux placées pour non seulement opérer ce virage, mais aussi impulser la dynamique de changement.

En effet, omniprésents autant qu’indispensables, les infirmières et les infirmiers sont un élément central des soins de santé. De plus, la tendance mondiale au rehaussement de la formation infirmière et le repositionnement de son rôle ont permis le développement de nouveaux métiers, tels que celui de l’infirmière en pratique avancée (IPA). Experts cliniques, ils sont indissociables de la transformation souhaitée vers un système de santé viable, performant et tourné vers la communauté.

Il est essentiel que la profession prenne conscience de sa capacité d’influence et propose des solutions pérennes. Pour ce faire, elle doit obtenir les leviers nécessaires pour occuper pleinement son champ de compétence, lui permettant d’assumer un leadership clinique en matière de promotion de la santé et de prévention. Et ces leviers s’obtiennent par la proposition de solutions infirmières innovantes et efficaces.

Prévention et santé primaire

Prenons, par exemple, les « rendez-vous prévention » qui viennent de voir le jour en France. Ces rendez-vous devraient contribuer à répondre aux besoins de la population, notamment en matière de prévention (alimentation, sexualité, activité physique, prévention des dépendances, etc.) à des périodes charnières de leur vie. Les infirmières vont pouvoir détecter, dépister, communiquer de l’information et orienter le patient vers d’autres professionnels, le cas échéant, pour une prise en charge. Cependant, si cette initiative ne peut être que saluée, force est de constater que le continuum complet et intégré du projet reste à être organisé.

Dans un système saturé, entre listes d’attente, déserts médicaux et pénurie, qui assurera ensuite la prise en charge des patients? Voici une occasion pour la profession de se démarquer. Formant le groupe professionnel le plus nombreux et opérant dans la plus grande variété de milieux de soins, les infirmières ne sont-elles pas les mieux positionnées pour répondre aux besoins de désengorgement des institutions, à la complexification des soins, ainsi qu’aux interventions en première ligne dans la communauté? Et les infirmières en pratique avancée ne pourraient-elles pas impulser la dynamique de ce virage tant attendu dans le continuum de soin?

La valeur ajoutée de l’introduction de la pratique avancée

Les connaissances et les habilités approfondies des IPA dans leur domaine font d’elles des professionnelles de choix pour jouer un rôle de proximité auprès des patients et, aussi, des équipes de soins infirmiers, en soutenant les infirmières et les infirmiers dans la pleine utilisation de leur champ de compétence. Le tout dans une démarche de collaboration interprofessionnelle, dans le respect des champs de compétence et d’expertise de tous. L’introduction des rôles infirmiers en pratique avancée doit, de ce fait, être vue dans un continuum de soins, dont la spécialisation constitue un élément fondamental. Infirmières et IPA peuvent contribuer, ensemble, à prodiguer des soins complets.

La pratique infirmière avancée (PIA) est une stratégie innovante pour répondre à la fois à l’urgence liée à la pénurie de professionnels de la santé qualifiés et aux besoins de santé de plus en plus complexes de la population, tout en améliorant l’accès aux soins et services, ainsi que la recherche d’efficacité et d’efficience.

L’efficacité du rôle de l’IPA a été démontrée sur la sécurité et la satisfaction des patients, la prévention de la rupture de services, l’amélioration de l’accès à des soins de qualité et la réduction des coûts. Comme toute innovation, le développement de la PIA ne se fait pas sans résistance au changement dans un système fortement marqué par le travail en silo. Les rôles respectifs et compétences respectives de chacun sont à communiquer afin de lever les freins.

Regard sur des expériences internationales inspirantes

Des modèles inspirants à travers le monde soulignent la faisabilité et la réussite de la démarche.

Au Québec, par exemple, des cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées en première ligne ont vu le jour au cours des dernières années, afin d’offrir un accès aux soins plus rapide. Composées d’infirmières praticiennes spécialisées, d’infirmières et d’infirmières auxiliaires (aides-soignantes), ces cliniques prennent en charge, de façon autonome, les soins des patients. Ces équipes infirmières ont ainsi l’occasion de jouer pleinement leur rôle respectif en complémentarité et de développer leur plein potentiel. Elles répondent, de manière autonome, aux besoins de soins des patients et contribuent à leur bien-être, mais elles contribuent également à soulager l’immense pression sur les services d’urgences du Québec et à rejoindre les clientèles éloignées et vulnérables.

Au Royaume-Uni, le NHS and Social Care Model promeut l’emploi d’infirmières à titre de community matrons, véritables pivots de l’organisation et de la prestation des soins aux patients, en interdisciplinarité (avec le soutien de spécialistes) et en partenariat avec les patients, leurs proches et la communauté. (tiré de À quand un financement adéquat des soins infirmiers dans la communauté, OIIQ 2012).

Le transfert de responsabilités entre médecin et IPA dans une vision de complémentarité et de collaboration est un facteur indéniable d’amélioration et de productivité des services [4]. Les modèles de soins les plus performants favorisent la pratique collaborative et interdisciplinaire, la coordination des soins et une vision de responsabilisation à l’égard des communautés (OIIQ, 2012) [5]. Incidemment, les moins performants sont ceux qui fournissent des soins sans prise en charge ou sans continuum de soins.

Vers le développement de cliniques infirmières en première ligne dans la communauté en France?

Cette démarche exige une redéfinition efficiente des territoires, permettant un réel déploiement des compétences infirmières. Il est essentiel de ne pas restreindre le champ d’exercice de l’un au profit de l’autre ni de se substituer l’une à l’autre. La pratique avancée en soins infirmiers a tout le potentiel requis pour répondre à la complexité des besoins de santé des personnes, des familles et des communautés par le déploiement des meilleures pratiques et le renforcement de la collaboration intra et interprofessionnelle. Dans une réelle volonté de collaboration, en raison de leurs compétences approfondies et du fait qu’elles coûtent moins cher au système de santé que les médecins de premier recours, les IPA devraient faire partie intégrante des stratégies de mise en œuvre de la politique nationale sur la promotion et la prévention.

Ainsi, par leur rôle d’expertes cliniques, les IPA en France peuvent assurer un suivi auprès des personnes identifiées lors des rendez-vous prévention et ainsi assurer une continuité de soins plus rapide. Plus largement, et toujours en collaboration avec les infirmières, les IPA peuvent effectuer une bonne partie du travail de promotion de la santé dans les pratiques de famille et jouer un rôle clé dans la gestion des maladies chroniques, telles le diabète, l’asthme, les maladies cardiaques, etc.

En conclusion

Les soins, toujours plus nombreux et plus complexes, exigeront beaucoup de la part des infirmières qui devront assumer un plus grand leadership clinique dans la prestation de soins, tant en établissement que dans la communauté. Elles joueront certainement un rôle plus actif dans la prévention, la promotion et le maintien de la santé. En France, comme ailleurs dans le monde, le rôle infirmier est appelé à s’enrichir significativement dans un contexte d’équipe intra et interprofessionnel.

Nettement orientées vers les soins de santé primaires, la promotion de la santé et la prévention de la maladie seront la pierre angulaire de nos systèmes de santé. Traditionnellement le parent pauvre de nos systèmes, elles doivent dorénavant être considérées comme un investissement dans la santé et non plus comme une dépense.

 

 

 


Références

[1] République française (2018). Priorité Prévention : Rester en bonne santé tout au long de sa vie.

[2] Aurélien Rousseau livre quelques grandes orientations sur sa politique

[3] Organisation mondiale de la Santé (2021). Soins de santé primaires.

[4] Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) (2010). Nurses in advanced roles: a description and evaluation of experiences in 12 developped contries.

[5] Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) (2012). À quand un financement adéquat des soins infirmiers dans la communauté? Mémoire, 38 p.